18 Juillet 2001, Mananjary, Madagascar,
Eloge
de la lenteur
Dans le mini –bus qui nous emmènera, je
l’espère, un jour à Mananjary, il
faut attendre. Il fait froid. Pendant que deux hommes installent des paquets
sur la galerie, le véhicule déjà surchargé tangue, au rythme des étirements de
ficelles, pratiqués de chaque côté. Les voyageurs font leurs derniers
achats : les faux Petit Beurre ont la cote. La place des cars est un lieu
inextricable de Taxis –Be*, de Taxis –Kely*, de taxis dits « Spécial »,
de minibus, de « Peugeôt bâchées », de charrettes tirées par des
zébus. Il faut attendre. La carcasse branlante doit encore faire monter, de gré
ou de force, cinq personnes. Au minimum. Où sont –elles ? Pas envie de se
rendre à Mananjary…Alors on entend :
-Qui veut aller sur la côte ?
-Madame, une petite promenade en Taxi
–Be ?
-Monsieur, les filles sont belles à
Mananjary…
Sourires
timides des messieurs, refus polis des dames …Les rabatteurs baissent les bras.
Très mauvais signe pour nous : jamais la voiture ne partira s’il reste
cinq places vides. Le temps d’écrire cette phrase maladroite et le bus oscille
au rythme des hommes qui marchent sur le toit, pour tirer des sangles et
attacher les colis. La…malle-poste part. Elle va partir. On le sent aux regards
circulaires, à des gestes vifs et déterminés. Soudain, des grappes humaines
venues d’on ne sait où, montent, enjambent, déplacent des sacs, passent
par–dessus des sièges. Des enfants, des bébés, des poulets, sont hissés par les
vitres ou la porte arrière, circulent de bras en bras. La camionnette prend la
route. Parcourt deux mètres. Puis…reste immobile. Impossible d’avancer :
il faut attendre les manœuvres laborieuses des autres taxis. Mais…cette fois ça
y est. C’est le départ officiel. Il fait froid. Une lourde brume pèse sur
Fianarantsoa. Cent mètres. L’omnibus stoppe …Le plein d’essence ! Et on en
profite pour remonter sur le toit pour serrer d’un peu plus près un sac
récalcitrant. Le mien peut –être. L’attelage s’ébranle. Laborieusement,
péniblement, il roule, tangue, tousse, tremble de toutes ses portières, de
toutes ses casseroles, sur une distance de deux kilomètres. Là, il s’arrête. Un
tonneau, un énorme sac de riz, des matelas sont hissés par des bras vigoureux.
Puis vient une agitation extrême autour de la calèche …Des cris, des pleurs,
des éclats de rire. Une pause ! Décrétée par le chauffeur. Sans que l’on
sache vraiment pourquoi. Voilà l’occasion rêvée pour acheter les derniers
pains, les derniers beignets, les derniers rideaux. L’équipage se met en route.
Cette fois, c’est pour de bon. Même si je n’en suis pas tout à fait convaincu.
(Peugeôt bâchée, prête pour de longues heures de voyage cahotant et poétique.)
Nous traversons en trombe des villages
bondés, au risque d’écraser une vache, un enfant, un taxi –brousse miniature
découpé par des mains habiles dans des boîtes de conserve, mais roulons au
ralenti dans des lieux déserts où le conducteur semble attendre quelqu’un.
Notre arche de Noé croule sous les pintades, les cochons ficelés, les poulets
attachés les uns aux autres, déborde de sacs déjà déchirés, de pneus empilés,
de resquilleurs agrippés à la porte arrière. Ce qui ne l‘empêche pas de prendre
au passage des bébés, des colis, des balais, des jarrets de zébus enveloppés
dans du papier journal. Nous nous arrêtons dans une descente car un tonneau est
tombé de la galerie. Les employés
serrent les cordes tant qu’ils peuvent. On s’en va.
La
plongée vers Ranomafana est
glissante, boueuse, dangereuse. Mon voisin s’endort sur mon bras. Le Taxi –Be
s’immobilise. Mon compagnon se réveille et me confirme avec un large sourire : « C’est la récréation »
. J’aime ce terme scolaire qui symbolise trois bonnes heures de cours sur
Madagascar, pendant lesquelles j’ai beaucoup appris sur ses habitudes et sa
culture. Après cette leçon, suivie attentivement comme le font les bons élèves,
j’ai droit à ce petit repos qui me permettra de mettre un peu d’ordre dans mon
cahier du jour, mes notes, mes phrases, mes emphases.
Tout
le monde pisse ici et là, à droite, à gauche, hommes, femmes, enfants, durites.
On soulève le capot. Fumées inquiétantes. On referme tout ça bien vite. La
route est tantôt douce, asphaltée et lisse, tantôt défoncée, criblée d’énormes
trous comme après un tremblement de terre. Parfois je m’endors. Quand je me
réveille, les passagers ne sont pas les mêmes.
(Taxis-be miniatures en bois, vendus sur la route d'Antsirabe).
Lentement, kilomètre après kilomètre, nous
approchons de la côte. Il fait chaud. Il est cinq heures. Il fait froid. La nuit
attriste déjà les fondrières. Quelques tireurs de pousse –pousse à
l’affût ? Des braséros allumés sur le bord de la piste ? Nous sommes
dans les rues ensablées de Mananjary.
L’autobus difforme, gonflé de partout n’avance plus, encerclé par une foule
pressée. Le moteur s’étouffe. Les passagers s’extirpent péniblement de la
carcasse déglinguée, happés par des bras généreux et les mines soulagées des
destinataires des colis.
Les voyageurs fourbus sont accueillis par
des sourires, la douce brise de la mer et
les premiers parfums de crevettes grillées.
Taxi-be : grand taxi, vieux 4X4, vieille camionnette
Taxi-kely : petit taxi, ne quitte pas la ville. En principe.
JAC, le 15 décembre 2009
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