Dès l’enfance, la musique m’a pris dans ses bras.
La nuit, dans la grande maison, toutes fenêtres ouvertes, nous écoutions Beethoven ou Mozart. Souvent, lors de marches nocturnes, bras dessus, bras dessous avec les parents, nous chantions à tue tête le Barbier de Séville, le répertoire de Brassens, le concerto « L’Empereur » ou l’Hymne à la Joie. Les rares silences entre nos productions, pouvaient être ponctués de commentaires sur l’interprétation toute en puissance d’Otto Klemperer ou la version un peu plus subtile de Karajan.
Mais, peu à peu, venu d’Amérique, le rock commençait à secouer l’univers des jeunes. Comme dans beaucoup de familles à l’époque, mon père s’acharnait à m’éloigner de cette vague montante.
Inévitablement, au beau milieu de cette douce musique de nuit et de la campagne normande, je me suis laissé emporter sans me défendre par la tempête. C’était pendant mon année de troisième.
Gene Vincent, Elvis, Johnny, balayaient tout sur leur passage. Certains imitateurs, pendant les interclasses, adoptaient la pose du King ou d‘Eddy Mitchel…
Et on chantait en chœur avec le plus de méchanceté possible dans le regard: « Regarde un peu, tsoin-tsoin, celle qui vient…tsoin-tsoin…C’est la plus belle de tout le quartier… »
On posait un genou à terre. On balançait un bras. Puis la jambe. Et nous étions Américains.
Les Beatles faisaient des ravages avant, pendant, après les concerts, mais aussi dans la cour du lycée. Quatre garçons de seconde ont fait un jour une apparition remarquée : ils portaient perruque et imitaient le quatuor sur scène. Ils ont été mis à la porte sur le champ.
Un autre choc. C’est la nuit dans la caserne. Retour de permission. Toutes lumières éteintes, un énergumène passe Pink Floyd sur un pick-up. Je revois la pochette bleu pâle de leur dernier 33 tours. On croyait y discerner une oreille baignant dans l’eau et des ondes se propager sur les bords. Dans le morceau d’introduction, Meddle, qui donne son nom à l’album, une goutte d’eau tombe toutes les trois ou quatre secondes au milieu de guitares électriques.
Une goutte d’eau qui fait déborder le vase, sans doute.
(Meddle, 33 tours de Pink Floyd, qui en avait plus d'un dans son sac...))
Depuis, dans mes voyages lointains, toute musique me saisit : une complainte vietnamienne chantée dans un train rouillé, des chants polyphoniques entendus dans un taxi-brousse à Madagascar, la voix aigrelette de la star éthiopienne Kuku.
En ce moment, j’ai tendance à écouter surtout Françoise Hardy, Christophe, Bashung, les Stones, Dépêche Mode ou Queen.
D’ailleurs, je me surprends à rester trop souvent près des voix de temps révolus. Ce n’est peut-être pas bon signe.
Surtout pour la musique insipide des chanteurs actuels, qui, après avoir sorti un tube, doivent bien s’attendre à retourner très vite faire du porte à porte pour vendre des aspirateurs.
JAC, le 16 décembre 2012
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