Nos années
d’étudiant (1)
A Claude, Jean-Pierre et Marie-France, de Canville...
20 Juillet 2001, Mananjary, Madagascar,
L’hôtel
Sakamanga de Tananarive est une élégante maison de grand-mère, tout en bois, un joli labyrinthe agrémenté de verdure
et d’objets typiques. Le parquet sent la cire d’autrefois et craque sous les
pas. A chaque voyage à Madagascar, je « descends » dans cette auberge
charmante. J’aime flâner dans les couloirs, parcourir les coursives chargées
d’histoire, regarder ici et là les photographies de Pierrot Men, le grand maître en la matière dans le pays.
(Adorable hôtel de Tananarive, lieu idéal pour retrouver des amis perdus de vue pendant 30 ans.)
Il y a
une semaine environ, j’attendais mon chauffeur dans le hall d’entrée tout en
lisant quelque article du journal « Le Monde » exposé au mur, avec
l’arrière pensée d’acheter peut-être un T-shirt, des cartes postales ou une nappe brodée. Ma curiosité est attirée par
un colis, grossièrement ficelé, posé sur une chaise. Machinalement je lis
l’adresse. Le nom du destinataire me bouleverse. Il me ramène trente ans en
arrière…
Monsieur et madame Jean-Pierre
Tymen
Seine-Maritime
France
Le réceptionniste qui me connaît depuis des
années, m’explique que la fille de monsieur Tymen travaille dans une ONG dans
les environs de la capitale et qu’elle a déposé ce paquet à l’attention de ses
parents qui doivent venir la voir prochainement.
(Un colis posé sur une chaise d'un petit hôtel de Madagascar, peut toujours aider à retrouver un ami perdu au fin fond de la Normandie...)
Je
prends une petite fiche et ma plus belle plume pour écrire :
« Monsieur,
J’ai
connu il y a trente ans un certain Jean-Pierre Tymen avec qui j’étais très lié.
Si TU ES CELUI QUE JE CHERCHE, SALUT MON VIEUX POTE, VOICI MON ADRESSE A LA
REUNION…si vous êtes une extraordinaire coïncidence, je vous prie d’accepter
mes excuses. Mais il ne peut y avoir qu’un Tymen à la foire qui s’appelle
Martin… »
Là-dessus,
mon taxi arrive et je quitte la ville.
Aujourd’hui
20 juillet 2001, l’émotion et les souvenirs m’envahissent : lorsque j’ai
appelé l’hôtel Sakamanga pour réserver ma chambre, l’employé m’a
passé…Jean-Pierre Tymen… J’ai donc
retrouvé cet ami perdu de vue pendant trente ans, grâce à un paquet posé sur
une chaise dans un petit hôtel de Madagascar….
Alors
le film de ces années peut se dérouler à nouveau…
Nous
avions en commun une très grande admiration pour le moine soldat Minard,
athlète mi–singe, mi–homme fakir, qui sautait comme Tarzan de branche en branche, d’arbre en arbre, dans
les allées boisées, dans les vergers des particuliers. Il nous terrorisait par
ses audaces dans les châtaigniers de Mont–Saint–Aignan, perché à dix mètres dans
des positions extravagantes. Il nous étonnait par son incompétence à
s’impliquer dans les techniques d’apprentissage des étudiants de l’époque et
collectionnait des notes aussi peu élégantes que les miennes. Il nous éreintait
par ses marches au pas cadencé, en forêt, autour de la ville, la nuit, le jour.
Il exerçait sur nous un pouvoir que nous ne lui contestions pas.
(Jeune étudiant en train de chercher sa voie mais qui n'a pas encore trouvé la branche dans laquelle il va travailler plus tard.)
J’habitais
bâtiment IV, chambre 242 …Je me souviens de tout cela, de cet adorable humain
marginal, des chahuts spectaculaires en fin d’année universitaire où des hordes
d’étudiants s’aspergeaient d’eau à grand renfort de casseroles ou de poubelles
géantes. C’était un peu avant 68. Les bêtises de Claude, capable de conduire sa
2CV sans siège-avant, remplacé par deux
énormes dictionnaires d’allemand mais que nous extirpions de la voiture le
mardi de 10 heures à midi, pour nous en servir en cours de thème et de version.
La Deux-Deuche jouait la parfaite bourrique d’acier, imperturbable sous les
coups, fidèle malgré les mauvais traitements que nous lui faisions subir, en forêt
dans de profondes ornières, dans des champs labourés où il fallait parfois
compter sur le passage d’un tracteur pour nous sortir de l’enlisement inévitable
et quasi souhaité…Pas de clef de contact… sans doute jugé un peu
« bourgeois ». Un tournevis faisait l’affaire même si certains soirs
il devait servir aussi de piquet de tente.
(La fidèle Deudeuche...pour Claude L., le conducteur, le siège avant avait toujours été "en option".)
(Clef de contact de la fameuse 2CV et qui servait accessoirement de piquet de tente...)
Dans ces années –là, nous dormions souvent
dans des appartements, à même le sol, enveloppés dans un sac de couchage, ce
lit de nomade que nous gardions en permanence dans le coffre de nos voitures,
en cas d’imprévu. Et il y en avait souvent !
Jean-Pierre
m’initiait à la bière allemande, à la technique du dérapage en Ami6, à
Gainsbourg aussi, en me faisant découvrir les subtilités de « Je t’aime,
moi non plus ».
Ce soir je ne suis pas malheureux. Je fête
mon anniversaire avec mes souvenirs et une bouteille de vin local. Si je
tremble c’est que je suis bouleversé. Ces camarades font partie de ceux qui
m’ont montré la vie, celle des années 66 / 68. Et leur hospitalité, leur insouciance, leur joie de vivre, sont à jamais gravées en moi.
JAC, le 2 janvier 2009
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